Mais imaginez que des êtres venus du
fond des Mondes débarquent un jour chez nous, un jour prochain... On
sait aujourd'hui que c'est chose possible. La vie est peut-être un
phénomène purement terrestre, mais c'est peut-être un phénomène
universel. Dans ce dernier cas, il doit bien exister quelque part des
êtres qui sont aussi supérieurs à l'homme que l'homme au mouton à
côtelettes. Imaginez qu'ils arrivent, qu'ils nous conquièrent,
qu'ils nous goûtent et qu'ils nous trouvent bons ! Il est de
règle de penser, chez les hommes qui s'occupent des problèmes de
l'espace, que si des êtres d'une intelligence supérieure
débarquaient sur la Terre, ils ne seraient animés que de bonnes
intentions. C'est une hypothèse bien aventurée.
Le mouton est plus intelligent que
l'herbe, et l'homme que le mouton. Résultat ? Une grande
supériorité d'intelligence ne peut au contraire que rendre
impossible toute émotion de la part du supérieur devant le sort de
l'inférieur. La sensibilité féminine s'émeut facilement de
l'image de l'agneau égorgé - ce qui n'empêche pas d’ailleurs le
gigot - mais la plus tendre ingénue restera indifférente devant
l’œuf qui casse pour le jeter dans l'huile bouillante, ou le grain
de blé que la meule broie. Ce sont des formes de vie trop
inférieures pour qu'elle puisse s'émouvoir de leur destruction. Il
se peut qu'il y ait autant de différence entre eux et nous qu'entre
nous et le blé, ou seulement entre nous et la vache. Dans ce cas, et
si notre absorption est favorable à leur métabolisme, rien ne les
empêchera de nous déguster. Nous aurons beau crier, gesticuler,
nous plaindre, nous expliquer, ils ne nous comprendront pas mieux que
nous ne comprenons les fourmis...
La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 60-61.
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