mercredi 27 juin 2018

Union

L'amour est l'oubli de soi.
Il n'a pas besoin d'être partagé, car il ne désire que donner. Mais s'il est réciproque, si chacun des partenaires reçoit autant qu'il donne, alors peut s'établir entre eux une véritable félicité que rien d'intérieur ne menace. L’amour véritable engendre le bonheur vrai. Mais pour que cet amour véritable s'établisse, il faut que les deux êtres qui forment le couple aient des physiologies qui soient en harmonie, des mondes mentaux qui puissent communiquer, des goûts qui s'accordent et se complètent, des désirs synchrones, des éducations semblables ou voisines. Et que chacun d'eux ait suffisamment de qualité d'être pour penser d'abord à l'autre, avant de penser à lui.

Une telle rencontre est rarissime. Elle a, en tout cas, peu de chances de se produire sous l'effet de ce que nous nommons d'habitude l'amour, qui fausse le jugement, rend aveugle à l'évidence et sourd à la vérité, et se fait se précipiter l'un vers l'autre les êtres les moins faits pour se donner réciproquement une satisfaction durable.

[…]

Dans certaines sociétés anciennes ou primitives, c'était le chaman, l'astrologue, le sorcier, le prêtre qui avait la charge des unions. Tout ce qui nous reste de cet usage, c'est la cérémonie du mariage religieux et l'intransigeance de l'Église qui considère que tout mariage fait en dehors d'elle ne vaut rien.

C'était sans doute vrai quand c'étaient ses prêtres qui désignaient les conjoints avant de les unir. Quand le prêtre était la voûte et la lumière d'une petite communauté, quand il savait ce qu'est Dieu, ce qu'est l'homme, et comment on peut connaître l'un par le moyen de l'autre.

Aujourd'hui, religieux ou non, un mariage est une affaire de chance. Nul ne peut s'en mêler. Pour assembler justement deux êtres humains, il fallait connaître les hommes.


La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 43-44-45.

vendredi 8 juin 2018

Les véhicules de la Vie

Les individus vivants, milliards d'hommes, de mouches ou de pissenlits, ne sont que des véhicules. La vie se fait porter par eux à travers le temps et l'espace.

[…]

La vie apparente, celle de l'individu, n'est qu'une vie bornée, un fragment temporel qui lui est accordé pour qu'il puisse accomplir sa mission de porteur.

La vie véritable, perpétuelle, qui se constitue sans interruption depuis le premier vivant, est celle de cette substance multipliée dans l'espace et continue dans le temps, la même chez tous les individus d'une espèce, et peut-être la même à travers tous les vivants de toutes les espèces, puisque, lorsqu'on la détruit dans l’œuf, les caractéristiques individuels, raciaux et spécifiques de l'individu qui naîtra quand même n'en sont pas affectés, ce qui montre qu'elle est indépendante de tout ce qui est particulier.

Ce vivant unique et multiple, réparti à travers tous les êtres vivants, est-il le véritable possesseur de l'intelligence, de la connaissance et de la conscience ?

Il est certain que :

c'est lui qui fabrique l'homme, l'agneau et la laitue et pas nous ;

c'est lui qui a construit et mis en place chaque organe de notre corps, et pas nous ;

c'est lui qui fait battre notre cœur, et pas nous ;

c'est lui qui continuera, et c'est nous qui allons mourir.



La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 28-29-30.