mardi 29 janvier 2019

Incarnation

En clouant Dieu sur la croix, qui est à l'image de la création et de l'acte de créer, le christianisme a sans doute voulu nous rappeler, à tout instant, que le créateur en créant s'est fixé dans sa création.
Il est donc partout dans le réel que nous percevons et dans celui qui ne tombe pas sous nos sens. Et, comme il ne saurait être limité, on ne peut le fragmenter quand on fragmente le créé. Il est donc entier dans chaque partie. Un atome contient, autant qu'une galaxie, l'infini et ses lois.
Dieu est entier dans chaque portion de sa création. Il est entier dans chaque créature.
Attention ! Il est dans toi, tout entier !
Il est dans moi !
Nous voilà bien avancés...
Tu le sens, toi ?
Zéro...

Si Dieu est partout, la porte qui s'ouvre sur lui est partout. La rose, le petit chat, les étoiles du matin.
Mais la porte la plus proche de l'homme, c'est l'homme.
« Connais-toi toi-même. »
Ces mots inscrits au fronton du temple de Delphes ne constituaient pas un vague conseil de vaseuse philosophie, mais désignaient avec précision une voie, celle dont l'itinéraire était enseigné en ce lieu. Le prêtre prenait le fidèle par la main et l'aidait à avancer, jour après jour, vers l’intérieur du temple. Le temple où pénétrait le fidèle c'était lui-même. Le culte, les « mystères » étaient un enseignement, au sens le plus strictement rationaliste que l'on puisse donner aujourd'hui à ce mot. La science qui était enseignée là – la lumière du temple – permettait à l'homme de voir en lui-même. Il semble que toutes les lumières se soient éteintes.

« Si la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ce sera ! » (Matthieu, 6-22.)
Il n'y a plus aujourd'hui que les temples éteints  où les fonctionnaires des Églises, au lieu d'expliquer à l'homme en quoi et comment il est une image de Dieu, lui ordonnent de vénérer un Dieu rétréci à l'image de l'homme. Des rites démonstratifs il ne reste que des gestes automatiques et des paroles inefficaces. Et le « mystère » qui aidait à comprendre est devenu une interdiction de comprendre.
L'homme qui cherche la lumière se détourne tristement de ces temples obscurs. Il sait pourtant que la lumière existe. Et c'est ce qui l'empêche de mourir de désespoir dans les ténèbres.

La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 167-168-169.


jeudi 10 janvier 2019

Suicide commandé

Toute les conférences de désarmement échoueront, toutes les propositions seront repoussées et tout le monde le sait.
Sécurité, contrôle : prétextes, futilités, enfantillages.
Personne ne veut se séparer de la Bombe.
En réalité, personne ne peut s'en séparer. Elle est née des hommes comme le venin naît de la vipère. La vipère ne peut pas, même si elle le désire, devenir couleuvre. Et si elle est vipère, ce n'est pas de sa faute.
La Bombe est la plus récente forme de la guerre.

La guerre est un phénomène de compensation intégré au processus vital de l'espèce humaine par une loi ou – c'est la même chose – une volonté d'équilibre, pour corriger l'inefficacité d'agression des autres espèces. À mesure que cette inefficacité grandissait, l'efficacité de la guerre a grandi. Du caillou à l'atome, la puissance des armes que l'homme a utilisées contre lui-même dessine la même courbe que l'expansion de l'espèce. L'une et l'autre viennent d'atteindre le bas de l'élan vertical, vertigineux, total. 

L'homme en train de devenir géant serre contre son cœur l'arme de son suicide. L'actionnera-t-il avant d'avoir escaladé le ciel ?
S'il le fait, ce sera voulu, mais non par lui : ce sera un suicide commandé. Comme est commandé le perpétuel repas où les enfants sont mangés.
 

La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 113-114.


mardi 8 janvier 2019

Hasard

Le hasard ne fait que de la bouillie.
Même si on tient compte du facteur temps, on ne peut pas accepter l'explication du hasard.

Je connais l'argument du singe et de la machine à écrire : si on place un singe devant une machine à écrire et qu'il tape au hasard sur le clavier pendant l'éternité, comme il tapera une infinité de combinaisons de lettres, il finira par taper le texte de la Bible.
Je n'accepte pas cet argument. Il est faux ; Il confond la quantité et la qualité. Le singe ne tapera pas la Bible, pas même La Cigale et la Fourmi. 

Il tapera pendant l'éternité un cafouillis lettriste, jusqu'à la fin des temps.
Vous pouvez lancer un dé pendant l'éternité, vous n’obtiendrez jamais une série de 1000 six. 

Or il faudrait une accumulation de mutations favorables autrement extraordinaire qu'une série de 1000 six pour fabriquer une oreille, ou une marguerite ou un petit chat.
Alors d'où viennent l'oreille et la marguerite ?
Il y a QUELQU'UN !...
Il y a quelqu'un sous le lit, dans l'armoire ! Il y a quelqu'un dans notre vie, dans notre chair.

Quelqu'un qui nous a faits et qui fait de nous ce qu'il veut.

La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 101-102.