mercredi 8 mai 2019

YVHV

L'Univers est un livre qui s'écrit sans cesse en pleine clarté. L'homme est un mot, une phrase, un chapitre de ce livre. Mais il ne sait plus lire ni en lui-même ni dans les autres pages. Par son corps animal, il continue de faire absolument partie du grand fleuve de la création. Il est une goutte dans le courant, traversé par lui et lié à lui dans sa mobilité. Il est dedans, par toutes ses cellules. Mais par la pensée il a cru s'arracher à cette dépendance, explorer le fleuve à sa guise. Il a perdu le sens du courant. Il continue à être emporté, mais il ne sait plus où il va.
Il a inventé de nouvelles écritures qui lui ont fait oublier celle de l'Univers. Il a élaboré des sciences qui lui ont fait perdre le savoir. Toute son attention est appliquée à l'apparence des choses et néglige leur signification. Il est comme un enfant curieux qui suit avec le doigt le contour des lettres, et qui ne sait pas lire. Il s'est mis à faire l'inventaire de ce qui est, et ne sait plus pourquoi cela est.

La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 156-157.


dimanche 5 mai 2019

La danse du Tétramorphe


L'adoration de Dieu que les religions recommandent, c'est l'intégration totale et à tout instant dans l'ordre et l'équilibre de la Création. Tout ce qui n'est pas l'homme y participe passivement. L'homme ayant été doté d'une conscience embryonnaire a la possibilité d'y participer volontairement. Ou de s'en détourner au risque de sa chute.

Tel est peut-être le sens du péché originel : du fait même de son origine, du fait même qu'il est ce qu'il est, du fait même qu'il est tel qu'il est, l'homme peut choisir entre faire bien et faire mal.

Il ne s'agit pas, bien entendu, du bien et du mal selon telle ou telle morale, chrétienne, ou papoue. Il s'agit de l'action bonne ou mauvaise parce qu'elle est ou non dans l'ordre de la Création.

Mais l'homme d'aujourd'hui n'a plus le choix, car il ne sait plus où est le bien. On lui propose des « biens » divers, moraux, politiques, légaux, sociaux, familiaux, religieux, mais le bien essentiel lui échappe, il en ignore même l'existence. Il ne peut plus collaborer à l'ordre de la Création parce qu'il ignore cet ordre et sa place dans cet ordre. Et il crée le désordre par le fait même qu'il existe sans participer à l'ordre.



La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 138.