jeudi 28 février 2019

Équilibre

Mais cruel, bon, ce sont là des qualifications humaines. Dieu n'est que l'image de Quelque Chose, Principe, Force, Idée, Esprit, Volonté, que nous ne pouvons concevoir ni nommer. Nous devons nous garder de peindre cette image aux couleurs de notre petite aquarelle humaine. Les maux dont Jéhovah accable le peuple juif parce que celui-ci manque à l'adorer, sont sans doute la représentation des sanctions qui ne peuvent manquer de frapper l'homme qui s'écarte de l'équilibre des lois de l'Univers. Qui penche trop, un peu trop, juste un peu trop, fatalement tombe. C'est vrai aussi bien pour l'espèce que pour l'individu. 
La pesanteur ne pardonne pas au déséquilibre.
Par contre, la mansuétude de Jéhovah devenu chrétien indique qu'il suffit de se redresser, même au dernier moment, pour ne pas tomber. 
La pesanteur aide l'équilibre.

La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 135-136. 


lundi 18 février 2019

Caverne

L'homme s'il veut se sauver, sauver son espèce, doit retrouver la signification et la raison de son existence dans le grand corps de la vie.
Quelle est la fonction de l'espèce humaine dans le corps du vivant ?
Sommes-nous le sang, le foie, le tube digestif, le lieu privilégié où se sécrète l'esprit, ou le canal à déchets ?
En inventant des outils et des machines, l'homme s'est doté de moyens que la Nature, ou le Planificateur, n'avait pas jugé nécessaire de lui octroyer au départ. Il était peut-être prévu dans le plan qu'il se ferait pousser ces prolongements. Peut-être pas. Il semble bien que l'espèce humaine, ayant fait éclater le cadre de sa fonction, se soit mise à vivre pour elle-même, aux dépens de l'organisme qu'elle devait servir.
Elle se développe aujourd'hui monstrueusement, comme un cancer, et, comme lui, est sur le point de faire périr le corps sur lequel elle prolifère en l'épuisant. Et de périr avec.
Si elle ne périt pas, si le vivant subsiste, du moins se sera-t-il amputé des cellules anarchiques et l'homme rescapé, n et désarmé, se retrouvera inséré à sa juste place, comme au temps de sa création.
Il y a peut-être, il y a certainement un moyen d'éviter ce grand saignement, cette opération à tous cœurs ouverts.
L'homme-outil-machine n'est sans doute pas, en soi, une faute ou une erreur, un crime contre le vivant. Son erreur et son crime, c'est d'utiliser ses mains, ses outils, son intelligence en dehors de sa fonction, pour le seul développement matériel mathématique de l'espèce, sans harmonie ni équilibre de celle-ci en elle-même ni avec les autres parties du monde vivant. C'est la caractérisation même de la prolifération cancéreuse.
L'homme peut retrouver une chance de vivre en réintégrant sa fonction. Ce qui ne signifie pas qu'il doive sacrifier les prolongements techniques qu'il a greffés sur sa chair nue, mais les mettre, comme lui même, au service de l'équilibre et de l'harmonie de l'Univers. Mais pour réintégrer sa fonction, il faudrait qu'il la connût.
Qui lui dira quelle est sa place dans la Création, entre quels autres rouages du monde s'insère le cycle de sa vie et de sa mort ? Qui lui dira ce qu'il est et pourquoi il est ?

La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 129-130.


samedi 16 février 2019

La guerre

Ne peuvent-ils pas se soustraire à cet holocauste, empêcher la mise à feu, noyer la poudre ?
Il faudrait vider de toute substance l'atroce mystification de la guerre, rendre évidente à tous la supercherie des prétextes capitalistes, nationalistes, ou idéologiques. Mais cela paraît difficile.
[…]
Rien ne justifie la guerre. Jamais.
Et plus elle devient meurtrière, plus les prétextes qui la déclenchent relèvent de l'insanité. Un paysan qui défendait à coups de fourche le blé qu'il avait semé avait quelque raison de tuer et de mourir. Mais nous voyons aujourd'hui l'humanité prête à s'engager dans l'engrenage de l’imbécillité totale ; chaque camp est persuadé qu'il n'y a qu'une façon pour l'homme d'être heureux : la sienne.


La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 123.