L'homme s'il veut se sauver, sauver son
espèce, doit retrouver la signification et la raison de son
existence dans le grand corps de la vie.
Quelle est la fonction de l'espèce
humaine dans le corps du vivant ?
Sommes-nous le sang, le foie, le tube
digestif, le lieu privilégié où se sécrète l'esprit, ou le canal
à déchets ?
En inventant des outils et des
machines, l'homme s'est doté de moyens que la Nature, ou le
Planificateur, n'avait pas jugé nécessaire de lui octroyer au
départ. Il était peut-être prévu dans le plan qu'il se ferait
pousser ces prolongements. Peut-être pas. Il semble bien que
l'espèce humaine, ayant fait éclater le cadre de sa fonction, se
soit mise à vivre pour elle-même, aux dépens de l'organisme
qu'elle devait servir.
Elle se développe aujourd'hui
monstrueusement, comme un cancer, et, comme lui, est sur le point de
faire périr le corps sur lequel elle prolifère en l'épuisant. Et
de périr avec.
Si elle ne périt pas, si le vivant
subsiste, du moins se sera-t-il amputé des cellules anarchiques et
l'homme rescapé, n et désarmé, se retrouvera inséré à sa juste
place, comme au temps de sa création.
Il y a peut-être, il y a certainement
un moyen d'éviter ce grand saignement, cette opération à tous
cœurs ouverts.
L'homme-outil-machine n'est sans doute
pas, en soi, une faute ou une erreur, un crime contre le vivant. Son
erreur et son crime, c'est d'utiliser ses mains, ses outils, son
intelligence en dehors de sa fonction, pour le seul développement
matériel mathématique de l'espèce, sans harmonie ni équilibre de
celle-ci en elle-même ni avec les autres parties du monde vivant.
C'est la caractérisation même de la prolifération cancéreuse.
L'homme peut retrouver une chance de
vivre en réintégrant sa fonction. Ce qui ne signifie pas qu'il
doive sacrifier les prolongements techniques qu'il a greffés sur sa
chair nue, mais les mettre, comme lui même, au service de
l'équilibre et de l'harmonie de l'Univers. Mais pour réintégrer sa
fonction, il faudrait qu'il la connût.
Qui lui dira quelle est sa place dans
la Création, entre quels autres rouages du monde s'insère le cycle
de sa vie et de sa mort ? Qui lui dira ce qu'il est et pourquoi
il est ?
La Faim du tigre, René Barjavel,
Édition Folio, p. 129-130.
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