L'amour est l'oubli de soi.
Il n'a pas besoin d'être partagé, car
il ne désire que donner. Mais s'il est réciproque, si chacun des
partenaires reçoit autant qu'il donne, alors peut s'établir entre
eux une véritable félicité que rien d'intérieur ne menace.
L’amour véritable engendre le bonheur vrai. Mais pour que cet
amour véritable s'établisse, il faut que les deux êtres qui
forment le couple aient des physiologies qui soient en harmonie, des
mondes mentaux qui puissent communiquer, des goûts qui s'accordent
et se complètent, des désirs synchrones, des éducations semblables
ou voisines. Et que chacun d'eux ait suffisamment de qualité d'être
pour penser d'abord à l'autre, avant de penser à lui.
Une telle rencontre est rarissime. Elle
a, en tout cas, peu de chances de se produire sous l'effet de ce que
nous nommons d'habitude l'amour, qui fausse le jugement, rend aveugle
à l'évidence et sourd à la vérité, et se fait se précipiter
l'un vers l'autre les êtres les moins faits pour se donner
réciproquement une satisfaction durable.
[…]
Dans certaines sociétés anciennes ou
primitives, c'était le chaman, l'astrologue, le sorcier, le prêtre
qui avait la charge des unions. Tout ce qui nous reste de cet usage,
c'est la cérémonie du mariage religieux et l'intransigeance de
l'Église qui considère que tout mariage fait en dehors d'elle ne
vaut rien.
C'était sans doute vrai quand
c'étaient ses prêtres qui désignaient les conjoints avant de les
unir. Quand le prêtre était la voûte et la lumière d'une petite
communauté, quand il savait ce qu'est Dieu, ce qu'est l'homme, et
comment on peut connaître l'un par le moyen de l'autre.
Aujourd'hui, religieux ou non, un
mariage est une affaire de chance. Nul ne peut s'en mêler. Pour
assembler justement deux êtres humains, il fallait connaître les
hommes.
La Faim du tigre, René Barjavel,
Édition Folio, p. 43-44-45.
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