Je ne suis pas particulièrement fan des films d'époque mais
paradoxalement je dois reconnaître que l'un de mes films préférés (mon
préféré?) fait partie de cette catégorie... Certainement parce que malgré
les costumes du XIXe siècle, Le Village de M.Night Shyamalan fait
écho à notre actualité.
J'ai déjà rédigé un billet consacré au
cinéma de M.Night Shyamalan, à son style tout en sobriété, en plans
précis et en profondeur de message dont la marque de fabrique est la
révélation finale qui reconstitue toutes les pièces du puzzle et donne
du sens au moindres détails distillés au cours du film. Rien n'est
jamais laissé au hasard, le message véhiculé dans son œuvre laisse
d'ailleurs penser que le réalisateur (mais aussi scénariste, producteur
et acteur de ses films) ne croit pas au hasard...Ses premiers films
célèbres (avant Wide awake et Praying with anger) que sont Le Sixième
Sens, Incassable et Signes ont comme point commun de faire réfléchir le
spectateur, de le mener à se poser des questions philosophiques, pour
peu que son œil regarde au delà du thème fantastique traité.
L'histoire
du dernier film se déroule en 1897, les habitants d'un village isolé
vivent dans la peur de "ceux dont il ne faut pas parler", créatures
menaçantes que personne n'a vraiment vu mais dont la prétendue existence
rappelle régulièrement qu'il ne faut pas franchir les limites du
village. Seul le jeune Lucius (Joachin Phoenix) ne se laisse pas
intimider ni par leurs avertissements, ni par les secrets qui pèsent sur
les aînés du village; encouragé par Ivy (Bryce Dallas Howard), une
aveugle qui l'aime, il projette de traverser les bois...
La vérité se trouvera au bout de la forêt.
Parler
des films de Shyamalan en évitant de raconter le dénouement n'est pas
chose aisée, néanmoins le parallèle avec les États-Unis de l'après 11
septembre peut être établi sans risquer de donner des pistes au
spectateur en ce qui concerne la fin du Village, même si cette étiquette
"film post 11 septembre" collée prestement par les critiques français
fait oublier que cet isolement représenté peut tout aussi bien être transposé chez nous... La peur de l'inconnu n'est pas réservée aux États-Unis, c'est bel et bien un sujet universel et intemporel et on en
attendait pas moins avec Night.
Le film appartient au genre du
fantastique, c'est un film qui fait peur, mais comme toujours chez le
réalisateur, le thème choisi n'est qu'un prétexte : Après les
fantômes, les super héros et les extra-terrestres, ce sont les créatures
issues de contes populaires et autres superstitions qui servent de
support à une analyse de la peur, des effets qu'elle produit, comme de
son exploitation afin de parvenir à ses fins.
Le Village peut
donc se voir comme une métaphore du pays de l'oncle Sam mais aussi de
tout système politique (ou religieux) cherchant à distiller ses valeurs
par la référence au mythe. Dans le film, les anciens qui assurent
l'organisation de la communauté et perpétuent la croyance en des mythes
intouchables agissent avec de bonnes intentions, cet usage du pouvoir
s'apparente clairement à ce qui se fait dans les religions, lesquels
cherchent à fédérer ses disciples et ainsi les contrôler, assurer le
maintien de l'ordre dans la communauté.
Très intelligemment,
Shyamalan met en avant les bons et mauvais côtés de l'utilisation de
cette mythologie, de ce fait le réalisateur différencie clairement ce
qui est du domaine de la superstition (associée aux systèmes de pouvoir
religieux) et celui de la foi.
Foi et religion sont clairement
séparé, les jeunes Ivy et Lucius incarnent cette foi qui efface les
frontières, pousse à se dépasser et à réaliser des exploits; cette foi
est animée par l'amour, à l'inverse de la structure mise en place par
les anciens et régie par des normes, des règlements et des idées
théoriques. La foi issue du cœur ose prendre des risques, remettre en
cause l'ordre établi, révolutionner les petites habitudes mais n'est pas
exempt de frayeur et de doutes, à l'inverse la structure
gouvernementale apporte la sécurité, le confort, la rationalité mais
contraint à des limitations, soumet à des rituels, une hiérarchie.
Pourquoi ai-je tant aimé le Village?
Tout
d' abord pour le style de Shyamalan dont j'ai parlé précédemment,
l'ambiance mélancolique instaurée par la musique de James Newton Howard
(formidables morceaux de violon!) et ensuite pour les questions que
posent le film en ce qui concerne l'ambivalence entre les bonnes
intentions d'un système de pouvoir et les résultats escomptés (L'Enfer est pavé de bonnes intentions), l'appréhension de notre
"réalité", le rôle de l'amour dans notre évolution personnelle. L'amour
y est d'ailleurs représenté sous deux formes bien différentes, celui
parental, protecteur, possessif, sécurisant et quelque peu étouffant de
l'assemblée des anciens pour leur communauté ; l'autre facette de l'amour
se retrouve dans le lien qui unit Ivy et Lucius, lien qui les pousse à
se surpasser, à sortir des sentiers battus et oublier leurs repères... un
amour insécurisant qui effraye par l'absence de lisibilité de ce qui se
présente devant soi.
Le véritable amour peut-il se vivre sans la peur? La peur de se lancer? De perdre l'autre? D’être rejeté?
C'est
cette peur qui transcende la relation et fournit le combustible
nécessaire à la foi en l'autre, à la projection vers l'avenir et à la
dissolution de l'ego au profit du bonheur de l'autre.
L'amour a
besoin d'être mis en danger, garder sa part de mystère, il ne peut
stagner et sentir la naphtaline car il est en constante évolution,
inutile de lui imposer des limites, des codes, des rituels, des
principes, il n'en a cure puisqu'il ne va pas de paire avec notre raison
qui l'ennuie profondément. Le personnage d'Ivy qui est non voyante,
représente parfaitement cette idée d'un amour aveugle qui brise les
conventions et les apparences pour aller chercher l'authenticité de la
personne, son âme, "voir sa couleur".
Et que dire de l'ambigu
personnage de Noah Percy incarné par l'excellent Adrien Brody, fou du
Village, électron libre et réel déclencheur et finisseur de l'intrigue
(à son insu?)...
Il personnifie l'amour impossible, l'amour poussé à
la folie, troisième facette de l'amour située sur l'échelle des nuances à
l'opposé de l'amour rationalisé des anciens du conseil, l'amour
libérateur d'Ivy et Lucius semble être le juste milieu, l'équilibre
parfait entre les élans du cœur et la conscience raisonnée.
Tout
le monde peut s'identifier à ses différentes manifestations d'amour,
qui prennent pour cadre une communauté du XIXe siècle... Une ambiance à "la
Petite maison dans la prairie", le bonheur des choses simples, le contact
direct avec la nature... Je ne dirai pas que c'était mieux avant (ce
serait renier de nombreuses avancées, au moins dans la théorie, en ce
qui concerne les droits de l'homme et l'accès à l'éducation par
exemple) mais je pense qu'il y a certaines choses du passé qui auraient
mérité d'être conservé, en particulier le lien que conservaient nos
ancêtres avec la magie, un respect du mystère.
Bryce dallas Howard dans Le Village (2004) - M.Night Shyamalan
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