mardi 11 septembre 2018

Anthropophages

Mais imaginez que des êtres venus du fond des Mondes débarquent un jour chez nous, un jour prochain... On sait aujourd'hui que c'est chose possible. La vie est peut-être un phénomène purement terrestre, mais c'est peut-être un phénomène universel. Dans ce dernier cas, il doit bien exister quelque part des êtres qui sont aussi supérieurs à l'homme que l'homme au mouton à côtelettes. Imaginez qu'ils arrivent, qu'ils nous conquièrent, qu'ils nous goûtent et qu'ils nous trouvent bons ! Il est de règle de penser, chez les hommes qui s'occupent des problèmes de l'espace, que si des êtres d'une intelligence supérieure débarquaient sur la Terre, ils ne seraient animés que de bonnes intentions. C'est une hypothèse bien aventurée.

Le mouton est plus intelligent que l'herbe, et l'homme que le mouton. Résultat ? Une grande supériorité d'intelligence ne peut au contraire que rendre impossible toute émotion de la part du supérieur devant le sort de l'inférieur. La sensibilité féminine s'émeut facilement de l'image de l'agneau égorgé - ce qui n'empêche pas d’ailleurs le gigot - mais la plus tendre ingénue restera indifférente devant l’œuf qui casse pour le jeter dans l'huile bouillante, ou le grain de blé que la meule broie. Ce sont des formes de vie trop inférieures pour qu'elle puisse s'émouvoir de leur destruction. Il se peut qu'il y ait autant de différence entre eux et nous qu'entre nous et le blé, ou seulement entre nous et la vache. Dans ce cas, et si notre absorption est favorable à leur métabolisme, rien ne les empêchera de nous déguster. Nous aurons beau crier, gesticuler, nous plaindre, nous expliquer, ils ne nous comprendront pas mieux que nous ne comprenons les fourmis...

La Faim du tigre, René Barjavel, Édition Folio, p. 60-61.



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