jeudi 16 octobre 2008

Le Village

Je ne suis pas particulièrement fan des films d'époque mais paradoxalement je dois reconnaître que l'un de mes films préférés (mon préféré?) fait partie de cette catégorie... Certainement parce que malgré les costumes du XIXe siècle, Le Village de M.Night Shyamalan fait écho à notre actualité.

J'ai déjà rédigé un billet consacré au cinéma de M.Night Shyamalan, à son style tout en sobriété, en plans précis et en profondeur de message dont la marque de fabrique est la révélation finale qui reconstitue toutes les pièces du puzzle et donne du sens au moindres détails distillés au cours du film. Rien n'est jamais laissé au hasard, le message véhiculé dans son œuvre laisse d'ailleurs penser que le réalisateur (mais aussi scénariste, producteur et acteur de ses films) ne croit pas au hasard...Ses premiers films célèbres (avant Wide awake et Praying with anger) que sont Le Sixième Sens, Incassable et Signes ont comme point commun de faire réfléchir le spectateur, de le mener à se poser des questions philosophiques, pour peu que son œil regarde au delà du thème fantastique traité.

L'histoire du dernier film se déroule en 1897, les habitants d'un village isolé vivent dans la peur de "ceux dont il ne faut pas parler", créatures menaçantes que personne n'a vraiment vu mais dont la prétendue existence rappelle régulièrement qu'il ne faut pas franchir les limites du village. Seul le jeune Lucius (Joachin Phoenix) ne se laisse pas intimider ni par leurs avertissements, ni par les secrets qui pèsent sur les aînés du village; encouragé par Ivy (Bryce Dallas Howard), une aveugle qui l'aime, il projette de traverser les bois...
La vérité se trouvera au bout de la forêt.

Parler des films de Shyamalan en évitant de raconter le dénouement n'est pas chose aisée, néanmoins le parallèle avec les États-Unis de l'après 11 septembre peut être établi sans risquer de donner des pistes au spectateur en ce qui concerne la fin du Village, même si cette étiquette "film post 11 septembre" collée prestement par les critiques français fait oublier que cet isolement représenté peut tout aussi bien être transposé chez nous... La peur de l'inconnu n'est pas réservée aux États-Unis, c'est bel et bien un sujet universel et intemporel et on en attendait pas moins avec Night.
Le film appartient au genre du fantastique, c'est un film qui fait peur, mais comme toujours chez le réalisateur, le thème choisi n'est qu'un prétexte : Après les fantômes, les super héros et les extra-terrestres, ce sont les créatures issues de contes populaires et autres superstitions qui servent de support à une analyse de la peur, des effets qu'elle produit, comme de son exploitation afin de parvenir à ses fins.

Le Village peut donc se voir comme une métaphore du pays de l'oncle Sam mais aussi de tout système politique (ou religieux) cherchant à distiller ses valeurs par la référence au mythe. Dans le film, les anciens qui assurent l'organisation de la communauté et perpétuent la croyance en des mythes intouchables agissent avec de bonnes intentions, cet usage du pouvoir s'apparente clairement à ce qui se fait dans les religions, lesquels cherchent à fédérer ses disciples et ainsi les contrôler, assurer le maintien de l'ordre dans la communauté.

Très intelligemment, Shyamalan met en avant les bons et mauvais côtés de l'utilisation de cette mythologie, de ce fait le réalisateur différencie clairement ce qui est du domaine de la superstition (associée aux systèmes de pouvoir religieux) et celui de la foi.
Foi et religion sont clairement séparé, les jeunes Ivy et Lucius incarnent cette foi qui efface les frontières, pousse à se dépasser et à réaliser des exploits; cette foi est animée par l'amour, à l'inverse de la structure mise en place par les anciens et régie par des normes, des règlements et des idées théoriques. La foi issue du cœur ose prendre des risques, remettre en cause l'ordre établi, révolutionner les petites habitudes mais n'est pas exempt de frayeur et de doutes, à l'inverse la structure gouvernementale apporte la sécurité, le confort, la rationalité mais contraint à des limitations, soumet à des rituels, une hiérarchie.

Pourquoi ai-je tant aimé le Village?

Tout d' abord pour le style de Shyamalan dont j'ai parlé précédemment, l'ambiance mélancolique instaurée par la musique de James Newton Howard (formidables morceaux de violon!) et ensuite pour les questions que posent le film en ce qui concerne l'ambivalence entre les bonnes intentions d'un système de pouvoir et les résultats escomptés (L'Enfer est pavé de bonnes intentions), l'appréhension de notre "réalité", le rôle de l'amour dans notre évolution personnelle. L'amour y est d'ailleurs représenté sous deux formes bien différentes, celui parental, protecteur, possessif, sécurisant et quelque peu étouffant de l'assemblée des anciens pour leur communauté ; l'autre facette de l'amour se retrouve dans le lien qui unit Ivy et Lucius, lien qui les pousse à se surpasser, à sortir des sentiers battus et oublier leurs repères... un amour insécurisant qui effraye par l'absence de lisibilité de ce qui se présente devant soi.

Le véritable amour peut-il se vivre sans la peur? La peur de se lancer? De perdre l'autre? D’être rejeté?
C'est cette peur qui transcende la relation et fournit le combustible nécessaire à la foi en l'autre, à la projection vers l'avenir et à la dissolution de l'ego au profit du bonheur de l'autre.
L'amour a besoin d'être mis en danger, garder sa part de mystère, il ne peut stagner et sentir la naphtaline car il est en constante évolution, inutile de lui imposer des limites, des codes, des rituels, des principes, il n'en a cure puisqu'il ne va pas de paire avec notre raison qui l'ennuie profondément. Le personnage d'Ivy qui est non voyante, représente parfaitement cette idée d'un amour aveugle qui brise les conventions et les apparences pour aller chercher l'authenticité de la personne, son âme, "voir sa couleur".

Et que dire de l'ambigu personnage de Noah Percy incarné par l'excellent Adrien Brody, fou du Village, électron libre et réel déclencheur et finisseur de l'intrigue (à son insu?)...
Il personnifie l'amour impossible, l'amour poussé à la folie, troisième facette de l'amour située sur l'échelle des nuances à l'opposé de l'amour rationalisé des anciens du conseil, l'amour libérateur d'Ivy et Lucius semble être le juste milieu, l'équilibre parfait entre les élans du cœur et la conscience raisonnée.

Tout le monde peut s'identifier à ses différentes manifestations d'amour, qui prennent pour cadre une communauté du XIXe siècle... Une ambiance à "la Petite maison dans la prairie", le bonheur des choses simples, le contact direct avec la nature... Je ne dirai pas que c'était mieux avant (ce serait renier de nombreuses avancées, au moins dans la théorie, en ce qui concerne les droits de l'homme et l'accès à l'éducation par exemple) mais je pense qu'il y a certaines choses du passé qui auraient mérité d'être conservé, en particulier le lien que conservaient nos ancêtres avec la magie, un respect du mystère.
























Bryce dallas Howard dans Le Village (2004) - M.Night Shyamalan

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